Cette année, dans le cadre de la Formation Humaine et Chrétienne au lycée, un projet intergénérationnel a été mis en place en classe de Terminale. Deux binômes de jeunes filles ont accepté avec enthousiasme de participer à ce projet.
De leur côté, deux dames, âgées de 76 et 93 ans ont répondu avec le même enthousiasme ; des rencontres ont eu lieu et ont abouti à ces témoignages de nos jeunes élèves. Je salue l’implication de celles-ci qui a généré beaucoup d’émotion, de respect pour la découverte du vécu d’une époque où tout paraissait si simple, alors que les temps étaient des plus compliqués……
Je remercie Julien Profit de m’avoir permis de vivre cette belle aventure, mais aussi Alice, Emma, Domitille et Soline pour leur soutien sans faille.
F . Fisset
Nous avons rencontré Hélène, 76 ans, médecin à la retraite, habitant à Rouen.
Parlez-nous de vos parents, comment étaient-ils ?
« Mon père était agriculteur avant la guerre puis, à cause d’un accident qui lui coûta sa jambe, il ne garda qu’une petite ferme transformée en herbage pour les animaux. Une jambe artificielle, ce n’était pas compatible avec une vie à la ferme surtout qu’à l’époque, il fallait tout faire soi-même avec un cheval, il n’y avait pas de tracteur. Ma mère, elle, avait fui le Havre après les bombardements. Elle était institutrice et avait été accueillie chez mon père avec sa famille : c’est comme ça qu’ils se sont rencontrés en fait. Finalement, ils ont déménagé à l’école où travaillait ma mère. »
Comment était votre enfance à la campagne ?
« Je suis née en 1946 dans un petit patelin à quelques kilomètres de la mer. Je vivais à l’école et ma mère était mon institutrice. Je n’étais pas la mieux traitée ! La vie à la campagne était simple et on ne manquait de rien. Enfin, c’est surtout qu’on en demandait peu ! Il n’y avait qu’un poêle à bois, dans la cuisine. Pour se laver, on y faisait chauffer de l’eau qu’on versait dans un baquet (grande cuve) que l’on plaçait dans la cuisine pour avoir chaud. C’était d’abord le tour des enfants. Ensuite, on enlevait la crasse à la surface, puis c’était le tour des parents. Il n’y avait pas de toilettes non plus, c’étaient des pots de chambre qu’on vidait au fond du jardin au petit matin ! Évidemment, pas de lave-linge, pas d’eau courante ; on devait aller chercher de l’eau au village d’à côté. Mais, au moins, on avait tout ce dont on pouvait avoir besoin autour de nous, pendant la guerre, on ne souffrait pas vraiment du manque de nourriture à la campagne ! »
Vous êtes ensuite allée en pension, à quel point est-ce différent d’aujourd’hui ?
« Complètement différent. Je suis allée en pension aux Bruyères à Rouen. On avait toutes un uniforme ; jupe plissée bleu marine, blazer et béret avec une plume. Le jour de repos était le jeudi à la place du samedi aujourd’hui, et nous faisions des balades d’environ 6 km à chaque fois. Dans les dortoirs, on était une vingtaine. Les lavabos étaient communs, et les douches à proprement parler environ une fois par semaine. Je suis allée jusqu’au deuxième bac que j’ai obtenu après un redoublement en 1965 (le premier était à la fin première et le second en terminale), ce qui était très rare pour l’époque et encore plus pour les filles ; nous n’étions qu’une dizaine dans mon établissement. Il faut garder en tête que l’école n’était obligatoire que jusqu’au brevet d’études à 14 ans. La plupart partaient pour aider leurs parents ensuite. »
Vous êtes ensuite devenue médecin de campagne, n’était-ce pas dur en étant une femme ?
« J’ai fait mes études de médecine à Rouen de 1966 à 1972. Entre-temps, je me suis mariée avec le frère de ma meilleure amie, rencontrée au lycée, en 1969. Un an plus tard, je suis tombée enceinte de jumeaux : j’ai dû passer mes examens quelques jours après mon accouchement, aucun aménagement possible à l’époque. Pour la petite histoire, j’avais accouché le 11 mai et je passais mes premiers examens le 19 du même mois. Ensuite, mes études terminées, je me suis installée à Yvetot en tant que médecin généraliste. On n’était que deux femmes dans le département ! Au départ, les patients ne me faisaient pas réellement confiance. Ils appelaient même parfois pour dire « si c’est la bonne femme, je n’en veux pas ». Mais finalement, j’ai réussi à m’y faire une place. »
Quel est votre avis sur la nouvelle génération et ses nouveautés ?
« Peut-être que parfois, ils y sont trop attachées : certains, ça se voit, ne pourraient pas se détacher de leur smartphone ! Cela étant, il y a toujours des excès partout, mais je pense surtout qu’Internet a permis d’ouvrir le champ des connaissances au plus grand nombre. À mon époque, peu avaient accès aux livres, alors l’instruction se limitait aux parents et à l’école. Aujourd’hui, les jeunes savent plein de choses ! Et justement, sur la question de la baisse de niveau à l’école, je ne suis pas forcément d’accord. Certes, ils savent moins bien écrire aujourd’hui (je vois parfois des fautes !!). Seulement, ils ont beaucoup plus de choses à apprendre que nous ! Ensuite, j’observe aussi beaucoup d’enfants de plus en plus protégés. Avant, on sortait jouer dehors sans protection, et pourtant, on était autant malades qu’aujourd’hui. Alors que maintenant, je vois beaucoup de parents surprotéger leur progéniture ; le risque, c’est le comportement de l’enfant roi. »
Que pensez-vous des combats sur l’écologie aujourd’hui ?
« Je pense très sincèrement que c’est bien de se rendre compte de nos conséquences sur l’environnement. Vous savez, à la campagne, on appliquait les règles d’écologie qu’on prône aujourd’hui. On n’utilisait pas de pesticides ou de grosses machines. Cela étant, je pense qu’il ne faut pas que les combats deviennent trop excessifs comme on peut le voir aujourd’hui : tout est dans la mesure. Est-ce qu’on pourrait réellement se passer de nos voitures ? De notre électricité ? De nos supermarchés ? Quand on vit en ville, c’est dur d’être réellement écologique.
Certains jeunes nous reprochent d’avoir pollué et gâché la planète, seulement, c’est surtout qu’à l’époque, on n’en avait pas du tout conscience ! »
Quel message pourriez-vous passer aux jeunes de notre âge ?
« Je pense que c’est important pour moi que les jeunes mesurent la chance qu’ils ont d’avoir accès aux différents progrès techniques qui rendent notre quotidien plus confortable : par exemple jusqu’au lycée j’étais obligée de porter des bas avec des porte-jarretelles ! Aujourd’hui nous avons un confort de vie exceptionnel ; certes à l’époque notre mode de vie était plus sain mais il était surtout plus dur ».
Merci, Hélène, de votre témoignage et de ce moment émouvant passé en votre compagnie !
Soline de Robillard et Domitille Gérardin